Textes, discours et interventions de Slobodan Milosevic

 

Comme premier texte, nous publions une longue interview à la ”Stampa“ (Milan) qui constitue le testament politique de dix années de combat pour l’indépendance de la Yougoslavie. Entretien publié dans le numéro 11 du trimestriel LA CAUSE DES PEUPLES.

 

Comment vous sentez-vous M. Milosevic, un leader trahi par son peuple ou l'objet d'un complot international et la victime de la politique américaine ?

Slobodan MILOSEVIC : Je n'ai pas été trahi par mon peuple. Je considère le peuple serbe à la fois comme héros et victime. Je ne suis pas non plus certain que les résultats des élections de septembre soient l'expression de sa volonté. Cette consultation s'est tenue sous une grande pression extérieure et intérieure, médiatique, psychologique et militaire. Il ne s'agissait pas d'un conjuration mais de l'activité bien orchestrée d'une part influente de la communauté internationale. On pourrait encore considérer l'hypothèse du sacrifice d'un leader devenu le symbole de l'opposition à la politique américaine.  Si c'était vraiment le cas, je voudrais que ce fût la dernière fois. Je voudrais qu'il n'existât plus jamais une politique pour laquelle celui qui pense différemment et guide un petit peuple, devrait être sanctionné pour "désobéissance".

Vous pensez avoir été puni seulement parce que vous désobéissiez ?

Slobodan MILOSEVIC : Est-ce que le monde moderne ne présente pas les idées de liberté, de démocratie, de droits de l'homme et du citoyen comme une sorte de manifeste ? Et comment se fait-il que ce manifeste commence à coller à l'image d'un pays puissant et arrogant qui avec l'uranium, appauvri ou non, punit les peuples désobéissants et leur leader, comme cette fois-ci, avec le fouet ? L'administration du plus grand pays du monde, ayant une attitude hostile envers moi (qui incarnait la politique d'indépendance et d'autonomie de la Yougoslavie) a eu la possibilité de projeter cette attitude sur ses alliés européens. Et cette administration s'est donné pour alliés les grands pays développés d'Europe pour des raisons beaucoup plus importantes et complexes que l'attitude à avoir vis-à-vis du chef d'un petit pays balkanique. Ensuite, ils ont pu tous ensemble organiser une atmosphère de pression matérielle, financière, politique, psychologique, diplomatique et médiatique sur l'opinion publique yougoslave. Une pression en faveur des résultats électoraux que l'on voulait obtenir.

Ce sont les raisons d'une défaite historique ?

Slobodan MILOSEVIC : Dans les dernières élections ont joué trois facteurs : les pressions, la peur et la corruption. La première pression a été médiatique : le peuple et le gouvernement on été diabolisés, puis la diabolisation a été concentrée sur le gouvernement, c'est-à-dire sur un groupe de personne et finalement sur moi. Second type de pression, les pressions économiques : pendant presque une décennie nous avons été soumis à des sanctions qui comme on l'affirmait, auraient été levées à condition d'un changement de pouvoir. Enfin la pression militaire : la Serbie a été bombardée tous les jours pendant trois mois. Les menaces se sont renforcées avant les élections. Il semblait que la Serbie aurait été bombardée de nouveau si elle n'avait pas changé de gouvernement.

Au début vous avez parlé de corruption, par qui ?

Slobodan MILOSEVIC : L'argent, les flots d'argent qui ont joué un grand rôle dans les évènements des dernières années, en particulier en automne dernier. Avec cet argent, on a non seulement acheté les votes d'une partie des citoyens mais aussi la conviction que les activités de ce type n'étaient pas amorales, que l'argent permettrait de soutenir la création d'un système dans lequel on vivrait mieux. Dans les derniers mois, la peur a conditionné l'opinion publique. Les incendies des sièges institutionnels,  les gens frappés dans la rue, les violences physiques de nature, comment dire, non européennes… Voilà, tout ceci a fait peur. Et beaucoup ont pensé : s'ils ont brûlé le parlement fédéral et la télévision, pourquoi pas ma propre maison, mon magasin, mon entreprise ? Ils ont frappé le directeur de la télévision d'Etat et ses journalistes les plus connus, pourquoi pas ma propre famille ? Puis est arrivée la marée des destitutions : directeurs de banque, d'hôpitaux, d'écoles, recteurs de l'université, pressions physiques et psychologiques. La peur est devenue un facteur politique, pour faire avancer les choses selon les intérêts de ceux qui la déchaînaient. Et cela continue aujourd'hui.

Jusqu'aux accords de Dayton, l'Occident vous considérait comme le seul facteur de stabilité dans les Balkans : qu'est-il arrivé ensuite ?

Slobodan MILOSEVIC : Les pays occidentaux, ou plutôt leur gouvernements, m'ont soutenu tant que leur profitait la stabilité dans les Balkans. Au moment où ils ont commencé à trouver intéressant sa déstabilisation, j'ai perdu leur appui. Ce ne sont ni ma politique, ni le rôle de la Serbie mais les intérêts des grandes puissance qui ont changé.

Vous l'avez dit  vous-même, la Serbie n'est pas un grand pays…

Slobodan MILOSEVIC : Mais il est important pour la stabilité de la région. Je me suis employé pendant dix ans à un politique d'indépendance. Pendant un certain temps, cela arrangeait l'Occident, puis plus du tout. Ils m'ont considéré comme un allié tant qu'ils acceptaient une orientation de ce genre. Quand j'ai commencé à les gêner, ils m'ont transformé en adversaire.

Qu'est-ce qu'ont représenté les guerres yougoslaves des dix dernières années ?

Slobodan MILOSEVIC : L'Europe occidentale et particulièrement l'Allemagne, enivrée de sa victoire dans la guerre froide, de l'unification allemande et de la destruction de l'Union Soviétique, a commencé à vouloir mettre l'Est sous un contrôle économique et politique total. Toutes les institutions productives des pays de l'Est ont été démontées, causant un appauvrissement vertigineux, et l'acquisition à bas prix par les occidentaux  d'une industrie détruite. Aucun pays de l'Est n'a réussi à revenir au niveau économique d'il y a dix ans.

Mais la Yougoslavie n'était pas un pays de l'Est.

Slobodan MILOSEVIC : Elle ne l'était pas ni n'était membre du pacte de Varsovie. C'était un pays qui construisait son système propre basé sur l'économie de marché et l'égalité nationale. Son économie devenait de plus en plus fructueuse. Elle était le modèle d'un futur fédéralisme européen.

La Yougoslavie constituait donc une expérience dangereuse ?

Slobodan MILOSEVIC : C'était un "mauvais exemple" pour les propagandiste des nouveaux équilibres sur le vieux continent. Et c'est pour cela que son éclatement a été soutenu de l'extérieur, en jouant sur les tensions entre les ethnies et les républiques de l'ex-fédération. A ce moment a commencé la diabolistaion de la Serbie, pendant qu'en Croatie on chantait "Danke Deutschland" pour les remercier de la constitution de l' "Etat croate".

Vous croyez que tout peut se réduire à cette perspective historique ?

Slobodan MILOSEVIC : Je ne suis pas encore arrivé à la fin de l'histoire. La République Fédérale de Yougoslavie, survivant en 1992 à travers la Serbie et le Monténégro, devint à un certain moment le nouvel objectif. Toute la décennie est marquée par la lutte pour la liberté, l'indépendance, la paix et la dignité nationale. Les protagonistes du nouvel ordre mondial n'ont pu accepter ce précédent : l'opposition d'un petit pays balkanique au nouveau colonialisme. Puis ils ont inventé les prétextes du Kosovo pour commencer en 1999 une guerre illégale et criminelle. Et quand la guerre n'a pas donné tous les objectifs escomptés, on a eu recours à tous les moyens. Aujourd'hui nous avons les tendances séparatistes du Monténégro, la hâte de donner l'indépendance au Kosovo, en créant ainsi une crise au Vojvodine et dans la région de Raska et Polimlje.

Est-il possible que dans ce désastre, la nation serbe n'ait aucune responsabilité ?

Slobodan MILOSEVIC : La responsabilité des Serbes est nettement moindre que celle des Croates, des Slovènes et de ceux qui ont participé à la partition du Pays. Les Serbes ont essayé de sauver la République Fédérale, peut-être parce qu'ils vivaient sur tout le territoire. Il est injuste de dire que les Serbes qui tenaient le plus à la Yougoslavie, soient accusés par l'Occident de son éclatement.

Vous ne reconnaissez aucune faute ?

Slobodan MILOSEVIC : Les accusations injustes ont été envoyées à la mauvaise adresse, soit en ce qui concernait le peuple, soit en ce qui me concernait. Devant certaines manipulations de la vérité, on reste impuissant. Les moyens d'information transformés en armes sont, comme toutes les armes, dans les mains des riches et des puissants. Grâce à leur richesse et à leur pouvoir, seul ce qu'ils auront décidé sera honnête, courageux, intelligent et bon. Et malhonnête, lâche, stupide et méchant ce qu'ils auront décidé.

Vous, personnellement, avez-vous fait tout votre possible ?

Slobodan MILOSEVIC : J'ai fait tout ce que je pouvais en tant qu'homme et guide d'une des républiques, partie du Pays. Mon rôle dans les évènements liés à la partition de la Yougoslavie, est un thème dont s'occupe continuellement la soit-disant communauté internationale. On devrait s'étonner que les mêmes questions n'aient pas été adressés aux chefs des autres républiques de l'ex-Yougoslavie. Le président de la Croatie, par exemple, met en relief ses propres mérites dans l'éclatement du pays. Pourquoi donc la soi-disant communauté internationale le sous-estime tant et me dédie toute son attention ? C'est offensant pour mes collègues…

Vous ne pensez pas vous être trompés, surtout dans la question du Kosovo ?

Slobodan MILOSEVIC : Je n'étais pas en retard. Dans un sens politique, moral et national, j'ai remué la question en 1986, quand je n'étais pas président de la Serbie. Je considérais la situation au Kosovo comme un des problèmes principaux de la Yougoslavie, et en particulier de la Serbie. Quant aux bombardements à l'uranium, je n'ai pas été surpris. Je dirais avec amertume : comme vous, j'espère. Comme chaque homme normal sur cette planète, j'espère.

Dans ce cas, la vielle amitié avec Richard Holbrooke, l'ambassadeur américain n'a pas servi non plus.

Slobodan MILOSEVIC : Avec Holbrooke, nous avons travaillé ensemble avec succès jusqu'aux accords de Dayton. Il a contribué de façon décisive à la trêve, lorsque les troupes serbes se sont retrouvées en situation critique. Je lui ai dit catégoriquement que nous aurions mis fin aux pourparlers, et lui, a arrêté l'armée croate devant Prijedor qui devait tomber comme Banja Luka. Après Dayton et la promesse de mettre fin aux sanctions, cependant, ils n'ont pas tenu parole. Ils n'ont pas introduit le prétendu "mur externe" et ils ont continué les pressions. En 1998, quand s'est posée de façon infondée la question du Kosovo, j'ai dit à Holbrooke : "Vous, les Albanais ne vous intéressent pas, vous avez un tout autre but" "Lequel ?" m'a-t-il demandé. "S'assurer de votre rôle de leader en Europe" "C'est vrai, nous sommes une superpuissance et nous avons intérêt à cela" a conclu Holbrooke. J'aimerais que la nouvelle administration américaine demandât à la précédente : "De quelle façon avez-vous servi les intérêts nationaux américains en faisant alliance avec la narco-mafia albanaise, avec des trafiquants d'êtres humains, des assassins et des terroristes ?"

Mais entre autres problèmes dans votre pays, vous ne pensez pas au fait de ne pas avoir géré une démocratie ?

Slobodan MILOSEVIC : Pendant mon gouvernement "antidémocratique", j'ai proposé en 1993 la constitution d'un gouvernement d'unité populaire qui a duré jusqu'à la fin d'octobre 2000. Aujourd'hui en Serbie, c'est le gouvernement d'un seul parti. Durant mon gouvernement "antidémocratique", 95% de la presse était entre les mains de l'opposition, comme presque toutes les télés locales, environ 500. Dans ces media financés par l'étranger, ma famille et moi avons été insultés avec les mots les plus vulgaires, nous accusant de tous les crimes du monde. Jamais il n'y a eu de réponses à ces accusations infondées. Il n'y a eu aucuns livres, spectacles ou films interdits. Les portes du Pays étaient ouvertes à des milliers de journalistes étrangers, même à ceux qui venaient avec des articles déjà écrits, à tous les diplomates, même à ceux qui agissaient de façon non démocratique. J'ai même rencontré l'opposition, mais eux ont évité les communiqués de presse.

Et la censure imposée aux journaux ?

Slobodan MILOSEVIC : Une invention dégoûtante. Dans le seul Kosovo, il y avait plus de 40 journaux en langue albanaise, complètement voués à me salir, moi et ma famille. Et cela pendant 10 ans. Peut-être que j'ai un reproche à me faire : j'ai laissé les media abaisser le sens éthique national.

Vous avez rencontré le président Kostunica dans la nuit du 6 octobre. Que pouvez-vous en dire ?

Slobodan MILOSEVIC : Kostunica m'a informé que la Court Constitutionnelle confirmait sa victoire. J'ai accepté cette information. Mais je ne m'attendais pas à ce que les violences et l'anarchie continuassent. Il y avait un scénario pour provoquer l'effusion de sang qu'heureusement nous avons évité. On sait bien qui en aurait été accusé. Dans ma ville natale, Pozarevac, ils ont saccagé et incendié ce qui appartenait à mon fils. C'est évident que tout cela était programmé.

Nous sommes arrivés à un point délicat, le poids de votre famille sur les affaires du pays.

Slobodan MILOSEVIC : Tout ce qu'on a écrit sur nous n'est que mensonge. A présent le nouveau gouvernement menace de faire des procès pour des crimes qu'ils ont inventé dans leur bureaux. Cette pratique de montages de procès appartient aux expériences des années les plus noires du nazisme et du maccartisme.

Kostunica refuse l'hypothèse de vous remettre au tribunal de La Haye même si des personnes comme Biljana Plavsic se sont livrées spontanément.

Slobodan MILOSEVIC : Je n'ai pas encore d'opinion sur le nouveau président. Il faut un peu de temps pour pouvoir juger. En revanche, j'ai toujours considéré le tribunal de La Haye comme une institution amorale et illégale, inventée en représailles contre des représentants désobéissants de peuples désobéissants, comme à une époque où il existait des camps de concentration pour les peuples superflus et les gens superflus. Ce tribunal est là avant tout pour les Serbes. C'est la même forme d'intimidation que les nazis ont utilisé d'abord contre les Juifs puis contre tous les peuples slaves.

Quant à Plavsic ?

Slobodan MILOSEVIC : Avec sa décision d'aller volontairement à La Haye, Biljana Plavsic a voulu montrer sa confiance dans le tribunal et l'administration qui vient d'abandonner la scène politique américaine. De nationaliste féroce, Biljana Plavsic s'est transformée en collaboratrice de l'ex-administration américaine. Vous ne pouvez pas espérer être amnistiée comme cela de leur fureur.

Et si deviez comparaître à Belgrade ?

Slobodan MILOSEVIC : Cela voudrait dire à La Haye. Les accusations sont inventées. Mais à Belgrade, à moins de ne pas s'en rendre compte, on est en train de monter une filiale du tribunal…

On vous accuse d'avoir fait passer des capitaux à l'étranger.

Slobodan MILOSEVIC : Ils les cherchent depuis des années. Une fois j'ai dit à Holbrooke qui menaçait de les bloquer : "Ne vous donnez pas tant de peine. Prenez simplement ce que vous réussissez à trouver". Je n'ai aucun compte à l'étranger, je n'en ai jamais eu. Toute ma vie, je n'ai eu que mon salaire. Et aujourd'hui je ne l'ai même plus.

Vous vous sentez en danger ?

Slobodan MILOSEVIC : Les règles veulent que les conditions de vie d'un chef d'Etat sortant, soit une question d'honneur et de morale pour le nouveau chef d'Etat. Peut-être, mais il y aura toujours une part d'honneur et de morale de la part des autres, de tout un peuple. Quant à ma sécurité et à celle de ma famille, non, je ne sens pas en sécurité. Nous sommes dans les Balkans ; ce n'est pas étonnant que l'Europe nous regarde comme une partie du continent qui devrait ne pas exister.

Et la politique italienne ?

Slobodan MILOSEVIC : C'est pareil pour les Italiens. Vous essayez d'agir avec des principes, de respecter les autres, de réfréner vos propres intérêts, de ne pas entrer en conflit avec l'Europe, mais de compter. Le ministre Dini a eu en maintes occasions de bonnes intentions, justes et cordiales, envers notre Pays, dans les années difficiles et particulièrement durant la guerre contre l'Otan. Malheureusement, l'Italie n'a pas eu la force de s'opposer à ce crime insensé contre notre peuple, en 1999.

Que voudriez-vous dire pour conclure au public italien ?

Slobodan MILOSEVIC : Rien ne peut grandir un homme petit, ni rendre honnête un malhonnête ou lâche un courageux, ou mauvais un bon. Même si on y met toute son énergie financière, technologique, médiatique, diplomatique et psychologique.

 

Entretien réalisé par Giuseppe Zaccaria, La “Stampa” du samedi 3 février 2001.

Copyright traduction française : Service de Presse du PCN-NCP - mars 2001

 

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